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Grenier de poèmes
Versions d'un même haïku de Kobayashi Issa
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Versions d'un même haïku de Kobayashi Issa

Plusieurs traductions d'un même haïku d'automne et une digression textile
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Kobayashi Issa est un poète japonais. Il a vécu à la fin de la période d’Edo (1600-1868).

Voici le texte original et sa traduction anglaise dans le Penguin Book of Japanese Verse.

露の世は                                               
露の世ながら                           
さりながら                                                         
The world of dew is 
A world of dew . . . and yet,
And yet . . .
Ce monde de rosée                        
est un monde de rosée                  
et pourtant ... et pourtant...                

Traduction à l’écoute ci-dessus par Brigitte Allioux tirée de Ora ga haru : Mon année de printemps,

version à l’écoute ci-dessous traduite par Corinne Atlan et Zéno Bianu.

Monde de rosée 
- rosée du monde,
 et pourtant...
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Et une version trouvée dans Territoires chamaniques de Kenneth White, publié chez Héros-Limite en 2018.

Rosée que ce monde-ci,
rosée que ce monde, oui, sans doute
et cependant.

Un même haïku en langue originale, et des versions très différentes. Fascinant, non?

Qu’est-ce que ça nous dit de l’acte de traduire, de l’acte de lire dans une langue autre que celle dans laquelle le poème a été écrit ? Peut-être une question incessante sur le sens et la manière dont si proche il nous échappe constamment, sur comment il y a toujours du mouvement et de la création dans ces gestes.

J’aime beaucoup ce haïku, je pense très souvent à ces lignes. Ce que ça dit de l’éphémère, de la fragilité du lien, du monde et de leur solidité, pourtant.

Dans la vie, je couds. La couture ça dure et c’est éphémère en même temps. En couture, on rassemble, on rapièce, on répare, on lie. On essaye de faire des choses qui durent - si on souhaite.

Je fabrique mes vêtements. De manière discontinue avant, et depuis une dizaine d’année de manière continue, bien plus fluide.

Plus le temps passe, plus je lie l’écriture et la lecture au textile. Les trois pour se concentrer, les trois comme lieux d’attention et de création, les trois tissées dans le temps passé présent futur.

De temps en temps, je brode sans technique, de manière brute, des vers ou des poèmes sur l’envers, la parementure : dans l’invisible du vêtement.

Pas tous, mais ceux que j’ai fait et dont je suis fière, ceux qui ont une dimension émotionnelle, sentimentale. Pour la renforcer, ou simplement parce que dedans : du soin, un moment.

Cette façon de faire est venue avec la lecture de Siri Husvedt et de son roman Un Eté sans les hommes. Dans ce roman, le personnage principal rencontre une foule de femmes d’âges très différents, dont les amies de sa mère. L’une d’elles, Abigail, est brodeuse. Elle cache à l’intérieur de ses ouvrages des scènes érotiques, violentes, taboues. Ce personnage m’a tellement frappée que quand j’en ai parlé à une amie : en fait, j’ai cru qu’elle existait.

C’est le moment aussi où j’ai découvert l’œuvre textile de Louise Bourgeois, et quelle claque.

Tout ça a fait son petit chemin, alors voilà : des bribes de poèmes, des espèces de talismans brodés à l’intérieur des vêtements.

Ce haïku en fait partie.

Sa version anglaise est sous le col d’une veste en lin, donné par ma mère, doublée dans un vieux drap de ma grand-mère et brodé de fil qu’elle m’a laissé. Les boutons : un cadeau de l’amie Blandine, qui, elle, a la première version de cette veste et le haïku aux hirondelles brodé sur son ourlet intérieur. Merci à elles.

Peut-être qu’un jour, par ici ou ailleurs, j’articulerai un instant ces liens dans ma tête (qui ne sont/se font pas seule) entre poésie, textile, soin, amour, féminisme, regard, écologie.

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